Le vécu psychotraumatique. Faciliter un recadrage, une «dévictimisation».

Dr Wilfrid MARTINEAU hypnose emdr
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Solitude, honte, sentiment d’abandon et d’insécurité, culpabilité, colère, perte de la confiance dans la vie... Les douleurs émotionnelles envahissent l’espace mental des personnes victimes de psychotraumatismes. L’approche thérapeutique consistera à changer le regard des patients sur l’événement traumatique.

Il est probable que tous les animaux, au moins tous les mammifères qui ont un système nerveux proche du nôtre, soient susceptibles de vivre un psychotraumatisme et la vie sauvage n’est pas exempte d’événements à vivre difficiles et violents. Pour autant, il semble que les animaux se remettent assez vite des stress subis au quotidien et le corps réagit d’une manière adaptée pour passer outre. La réaction de figement est avant tout une protection. Après cette réaction de figement, les animaux réagissent par une succession de tremblements dont la fonction pourrait être d’évacuer le stress accumulé. David Berceli (1) a fait, à partir de cette hypothèse, une approche thérapeutique basée sur une série d’exercices de décharge des tensions accumulées.

Pourquoi l’homme ne dispose-t-il pas des mêmes ressources que les animaux ? Il est probable qu’il les ait aussi mais qu’elles soient pour partie inhibées par le psychisme. Les réactions face au psychotraumatisme sont largement involontaires, sous-corticales, mais l’individu qui les vit en a une conscience aiguë et l’observateur de l’événement a tendance à porter un jugement sur ce qu’il observe.

 La belle évolution des compétences humaines ne s’est pas faite sans conséquences. Il y a une inhibition de certains comportements par la culture ou par le contexte de survenue du traumatisme. Les pleurs, les tremblements, les syncopes, les réactions de fuite, les paralysies (figement) ne sont pas exempts de jugement par la personne qui les vit et aussi par les témoins et ce jugement manque singulièrement d’indulgence et méconnaît la physiologie du psychotraumatisme. Ceci est lourd de conséquences puisque beaucoup d’événements seront tus, restant dans le domaine de l’indicible ou du secret. Des pensées et ruminations mentales accroissent aussi l’impact du trauma (cognitions négatives), alimentées par des jugements, des croyances, des idées toutes faites. La mémoire intervient aussi dans l’impact traumatique. Il est difficile de connaître celle des animaux mais la mémoire liée à l’état que l’on rencontre dans ces transes négatives participe de la force du trauma et de sa pérennité. Cette mémoire, brute, faite de sensations corporelles mêlées à des émotions fortes provoque souvent des reviviscences incompréhensibles car la mémoire sémantique n’a pas pu encore mettre en ordre l’information de ces sensations comme si le cortex avait été déconnecté de l’événement. L’incompréhension du sujet à l’égard de ce qu’il vit accroît son malaise, son autocritique et provoque d’autres symptômes pour faire taire ces réactions corporelles impromptues et envahissantes. Les réactions d’évitement, les automutilations, les troubles addictifs sont les plus fréquents et sont à l’avant-scène alors qu’ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg qui n’apparaît pas toujours à l’oeil du clinicien ni même dans le discours du sujet qui en souffre. Enfin, la richesse des associations – images, sons ou autres perceptions – et leur lien avec le contexte ou la mémoire vient compliquer la relation de l’événe - ment et du vécu de la personne.

Les émotions et les sensations corporelles
Peur, terreur... Angoisse, panique... Tristesse, colère... Parfois ces émotions se transforment vite en sentiments : sentiment d’horreur, sentiment de haine, qui eux-mêmes activeront les pensées et ruminations mentales s’associant à un vécu corporel pesant, douloureux quasi permanent et se manifestant dans un grand nombre de troubles somatiques, de symptômes psychiatriques ou de passages à l’acte. Mais nous limiterons seulement notre propos à la subjectivité du vécu sans en considérer toutes les manifestations symptomatiques.
- La gorge serrée accompagne souvent l’angoisse et ce symptôme peut être envahissant.
- Le ventre contracté ou l’estomac serré sont des signes de peur, voire de panique.
- Les lombalgies, le corps tendu révèlent que la personne, malgré elle, a eu un système sympathique qui a répondu en préparant le corps à des réactions de fuite ou de combat. Mais le corps peut garder longtemps ces stigmates de l’irruption traumatique et de la réaction primaire.
- La tachycardie et les tremblements sont plutôt les signes d’un organisme qui réagit bien face au danger et qui est susceptible de récupérer en déchargeant par les tremblements l’énergie accumulée. Malheureusement, référées à la peur, ce sont des réactions disqualifiées.
- La paralysie... c’est sans doute cette expérience qui provoque le plus de troubles psychotraumatiques. Elle peut prendre la forme d’épaules lourdes ou de jambes en coton... qui n’en sont que les signes périphériques. La réaction de figement, parallèle à un état dissociatif, favorise dans l’instant une protection. Le problème c’est qu’elle a tendance à se reproduire dans des circonstances impromptues ou lorsqu’elle est activée par des déclen - cheurs pas toujours faciles à retrouver. Très souvent, elle va provoquer une culpabilité ou une honte telle que l’épisode devient de l’ordre de l’indicible, comme s’il ne s’agit plus de dire un mot ou d’esquisser une plainte mais d’avouer ce qui s’est passé.

Les cognitions
La mentalisation du psychotraumatisme va avoir un effet amplificateur sur la douleur émotionnelle brièvement évoquée plus haut. L’homme pense toujours, en permanence, de façon automatique, associative ou de façon focalisée ; les mots, les représentations occupent en permanence un espace, décidément jamais vide même quand le sujet peut arriver à dire « je me sens vide ». Après les psychotraumatismes, l’esprit est occupé, on pourrait dire envahi par un ennemi sournois qui ne lui octroie plus beaucoup de plages de liberté (même si celles-ci seront toujours à rechercher dans une approche psychothérapique centrée sur les ressources). De façon un peu formelle, nous avons divisé ces pensées envahissantes dans trois domaines :
1. Atteinte de la sécurité relationnelle.
2. Atteinte narcissique (ou plutôt de l’estime de soi).
3. Atteinte des valeurs.

1. Atteinte de la sécurité relationnelle
Ici, c’est la vie qui a été bousculée. La personne survit avec angoisse car le sentiment de base, celui de la sécurité intime, a été ébranlé, voire a disparu.
- Solitude : l’homme n’est pas fait pour vivre seul. La relation est le fondement de notre humanité. La violence de l’agression subie dans la solitude peut paradoxalement induire une tendance au repli et à l’isolement. « … J’étais seul, isolé… et puisque personne ne peut comprendre ma détresse, je me retire du monde. » Depuis son agression humiliante, Frédéric se replie à son domicile. Il porte les traces sur son visage de la violence qu’il a subie. Il ne sort plus, et ne répond plus au téléphone, se sentant différent, incompris. Il pense que personne ne peut comprendre sa peur et sa détresse. L’inhumanité de ses agresseurs le sort de l’humanité de compassion : « Je ne supporte plus qu’on me regarde, je préfère rester seul », alors même qu’il souffre de cette solitude.


- Abandon : c’est sans aucun doute le pire des sentiments humains. Si on peut survivre à la maltraitance difficilement, il est certainement encore plus compliqué de faire face à l’abandon qui renvoie à la négligence d’autrui, au sentiment de n’être rien puisque sans relation avec quiconque (même maltraitante). « ... Tout le monde est parti… je me sentais abandonnée de tous... » Brigitte, victime d’un attentat d’une extrême violence, se perçoit perdue dans la cohue. Elle revit la scène, très émue : « Je tombe, je me fais piétiner, je tombe sur des cadavres… » Bien sûr les secours viendront ultérieurement mettre un peu de solidarité humaine mais, dans l’instant vécu, celui d’une violence aveugle, Brigitte a perdu tout soutien et se sent abandonnée au milieu d’autres personnes toutes aussi seules et abandonnées.


- Soutien : chacun a besoin d’exister dans le regard de l’autre, d’être reconnu, soutenu, et pourtant, dans certaines circonstances, ce soutien élémentaire vient à manquer et le sol se dérobe. Nous avons besoin d’un support : le sol mais aussi notre environnement familial, amical qui sont nos supporters naturels. « … Personne ne m’a crue, ne m’a soutenue... » C’est souvent le cas dans des situations d’abus sexuels. Parler c’est trahir. Se taire, c’est rester avec sa souffrance. Karine est perdue. Depuis qu’elle a osé dire à sa mère ce qu’elle avait subi de la part du père de celle-ci, elle n’a reçu que la demande de se taire. Aucune compassion, aucune compréhension, pas même une écoute polie. Seulement un interdit. Si elle a parlé, c’est qu’elle attendait de sa mère ce soutien qui lui manque encore aujourd’hui. Elle perçoit que celle qui lui a donné le jour ne la porte plus. D’apprendre plus tard que sa mère ellemême a subi la violence de l’inceste ne l’aidera pas. Au contraire car cette mère abîmée aurait dû mieux comprendre que toute autre : « Je me suis sentie lâchée. »

- Permanence du sentiment d’insécurité comme séquelle : celuici se manifeste surtout dans le quotidien de la personne traumatisée. Sensible au moindre bruit, à la moindre stimulation, elle paraît toujours en éveil, sur ses gardes, et le sommeil est souvent perturbé à cause de l’impossible confiance qui autorise ordinairement ce lâcher-prise naturel. Les difficultés d’endormissement, les réveils nocturnes sont constants. A cela s’ajouteront des réactions d’évitement devant tout stimulus jugé comme phobogène (la nouveauté). Delphine s’est fait violemment agresser sur son lieu de travail. Elle me dit que depuis l’agression, elle n’ose sortir, a peur en permanence... « J’ai laissé quelque chose derrière moi, j’ai comme une barrière invisible qui m’empêche de sortir, qui m’entoure… Ça a commencé deux semaines après l’agression… elle m’empêche de ressentir les choses extérieures… je m’angoisse de ne plus avoir la même perception… avant, j’avais un fort caractère… depuis je suis en dépression, j’angoisse… j’ai peur d’être agressée tout le temps… j’ai toujours l’impression qu’il faut que je me protège. » Brigitte, après l’attentat qu’elle a vécu, s’exprime ainsi : « Le pire, c’est d’avoir toujours peur… la nuit d’être angoissée. Le jour, j’ai peur du bruit, d’entrer dans un cinéma. J’ai peur de ne pas me sentir bien, de ne pas avoir la maîtrise des choses. Je suis trop vigilante ; je suis passée d’une grande insouciance à une hypervigilance. »

2. Atteintes narcissiques

Plus que l’image, c’est l’estime de soi qui est touchée. Soit vis-à-vis de soimême, soit vis-à-vis des autres, soit vis-à-vis de la communauté ou de la loi.
- Impuissance : la perte de ses capacités, de sa force, de ses compétences ou l’incapacité d’y avoir recours soit de façon consciente, immédiate, soit par conscience dans l’après-coup. « Je ne pouvais rien faire… je ne bougeais plus… j’étais tétanisé, paralysé... » Souvent, il peut y avoir chez chacun d’entre nous un sentiment de toutepuissance et le juge intérieur est expéditif et sévère à la mesure de la toute-puissance ébranlée : « Puisque je n’ai pas pu faire face, je ne vaux rien, je ne mérite pas de vivre… »


- Honte : le regard des autres nous importe et constitue une part essentielle de notre estime de nous-mêmes, et ce regard, tel un miroir, peut adresser un message disqualifiant, même si parfois ce miroir est intériorisé. « J’aurais voulu être ailleurs, disparaître… j’aurais dû faire quelque chose, intervenir, faire face… » Camille a subi la douleur du suicide paternel, mais avant cela des relations incestueuses avec son frère. Elle boit, déprime, ne se reconnaît plus alors qu’elle avait un tempérament plutôt enjoué et généreux. Elle dit : « Quelque chose n’est pas moi, prend le dessus et m’empêche de faire ce que je veux et d’être ce que je suis… Je fais tout pour détruire alors que tout va bien… et je fais des reproches aux autres alors que c’est mon mal-être. » Ce vécu lui fait honte, l’éloigne d’elle-même mais aussi de ses valeurs.

- Culpabilité : le regard de la loi civile ou commune nous renvoie non seulement à notre responsabilité mais elle implique souvent une faute, ne serait-ce que morale. Le conditionnel passé du verbe devoir est totalement aliénant car il amène à refaire le film sans cesse alors que celui-ci est déjà tourné et ne peut être modifié. « J’aurais dû agir… me défendre… les protéger… » Cette culpabilité peut correspondre à une faute, une défaillance, mais le plus souvent elle est désadaptée, fruit d’une erreur cognitive (la toutepuissance) ou de la qualité de nos intentions (sauver l’autre... sauver le monde). Clémence est auxiliaire puéricultrice. Dans le cadre de son métier, elle a eu à vivre le décès brutal d’un bébé, certes porteur d’une malformation mais dont elle n’attendait pas le décès brutal dans ses bras. Elle se dit : « C’est trop injuste... je m’en veux de ne pas avoir pu la protéger… J’y repense tout le temps, je m’auto-punis… c’est une punition éternelle. »

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Dr WILFRID MARTINEAU
Chef du pôle Psychiatrie et Santé mentale du CHU de Nantes. Formation à l’hypnose, EMDR, TOS, thérapie narrative et thérapie stratégique. Expérience de l’urgence et des situations de crise et du psychotraumatisme. Exercice actuel en psychiatrie de secteur (CMP et unités d’hospitalisation). Formateur au sein de l’ARePTA-Institut Milton Erickson de Nantes. Coordonnateur du DU Hypnose et Communication thérapeutique de la Faculté de médecine de Nantes


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